Un article publié dans l'Équipe le 22 décembre 2023 (source)
La nomination de l'ancien président de la Fédération française de judo, Jean-Luc Rougé, après son audition chaotique devant la commission d'enquête parlementaire sur les dysfonctionnements du monde sportif, a heurté Patrick Roux, président d'une association qui lutte contre les violences.
La Fédération internationale de judo a attribué, le 13 décembre, le 10e Dan (plus haute nomination dans ce sport) à Jean-Luc Rougé (74 ans). L'ancien dirigeant a été le premier champion du monde français (en 1975). Ensuite, il a notamment été directeur général (1994-2004), puis président (2005-2020) de la Fédération française de judo mais aussi secrétaire général de la Fédération internationale de 2011 à 2023 et enfin directeur du développement de la FIJ, instance présidée par Marius Vizer dont Rougé est proche.
Cette nomination a fait réagir Patrick Roux, président d'Artémis Sport et ancien champion d'Europe de judo (en -60 kg en 1987), association qui lutte contre les violences dans le sport, pas uniquement dans le judo. Rougé s'était en effet présenté à son audition devant la commission d'enquête parlementaire consacrée aux dysfonctionnements des Fédérations, le 19 octobre, sans réellement avoir préparé le sujet. « Je ne connaissais pas du tout le sujet, je pensais qu'on allait parler de gouvernance des Fédérations », avait-il avancé lors de sa première prise de parole.
Une tribune pour dénoncer la nomination de Rougé
Roux a rédigé une tribune déjà signée par 25 personnes (victimes, parents de victimes, psychologues, professeurs de judo, lanceurs d'alerte...) qu'il nous a fait parvenir. « Tribune et non pas pétition », comme le précise Patrick Roux. Dont voici des extraits :
« Monsieur Jean-Luc Rougé, (...) vous avez certes, beaucoup oeuvré pour le judo français ainsi que pour le judo au niveau international, cependant le moment de cette nomination nous semble peu opportun. (...) En effet, le 19 octobre dernier vous vous êtes présenté devant la commission d'enquête parlementaire indépendante pour être auditionné à propos des dérives et des dysfonctionnements du monde sportif. Vous vous êtes présenté à cette audition sans l'avoir préparée (...).
De nombreuses questions vous ont été posées à propos d'affaires de violences au judo pendant la période où vous étiez directeur général puis président, auxquelles nous considérons que vous n'avez pas apporté de réponses claires ni satisfaisantes. (...) Pas un mot de compassion, pas le moindre regret. Alors que vous aviez une occasion de vous excuser au nom de la FFJDA (Fédération française de judo et disciplines associées) que vous avez administrée pendant plusieurs décennies, vous avez seulement essayé de vous justifier et de légitimer votre posture qui aux yeux de l'immense majorité des gens qui ont visionné votre audition, est apparue comme une imposture, une supercherie, voire une comédie (...) »
« Votre comportement, si peu exemplaire à nos yeux, transmet un message désastreux à tout le monde du sport »
La tribune se poursuit sur le ressenti des victimes de violences : « Il faut que vous sachiez que la plupart des victimes et des témoins qui vous ont écouté ce jour-là se sont sentis insultés et méprisés par vous. Votre comportement si peu exemplaire à nos yeux, transmet un message désastreux à tout le monde du sport et à la communauté des judokas en particulier. Il semble nous indiquer que tous ces faits de violences transmis au ministère des sports et parfois aux parquets ne sont rien à vos yeux, et que comme par le passé, on ne fera rien de plus. (...) Ce n'est pas en niant la réalité comme vous semblez vouloir le faire que nous pourrons tous ensemble faire une prise de conscience de ces fléaux qui traversent notre société »
Rougé avait apporté des précisions à son audition par une lettre
Et la tribune d'inviter Jean-Luc Rougé à « réfléchir encore et peut-être prendre le temps de vous adresser d'abord aux victimes, comme a su le faire monsieur Stéphane Nomis (son successeur à la présidence de la Fédération française de judo) lors de son audition ? Pourquoi ne pas prendre le temps de tirer les leçons du passé, en participant sérieusement à un audit des dysfonctionnements comme vous le proposait la commission d'enquête parlementaire ? Ou encore, vous engager concrètement, dans quelques actions pour soutenir et aider celles et ceux qui luttent pour se reconstruire, après de terribles malheurs commis dans le giron de la fédération et dont vous avez bien connaissance aujourd'hui. Nous sommes sûrs qu'un dirigeant de votre expérience mesure la dimension symbolique de ce choix. »
Le 21 novembre, l'Équipe révélait que Jean-Luc Rougé avait envoyé une lettre à la commission d'enquête parlementaire pour apporter des précisions suite à son audition.
Comments