Un entretien publié dans Libération en octobre 2021, par Anthony Diao, Guillaume Gendron (source)

L'entraîneur lanceur d'alertes Patrick Roux, à Vincennes le 9 septembre. (Marie Rouge/Libération)
Entraîneur respecté, Patrick Roux veut que sa fédération sorte de «l’ambiguïté» sur les violences dans le haut niveau pour mettre en adéquation les principes du judo et sa pratique.
Tempête sous un crâne : Patrick Roux, l’un des entraîneurs les plus cotés du judo français, veut «dire [sa] vérité» sans pour autant «lancer une chasse aux sorcières». Pas évident. En dénonçant les violences physiques et psychologiques sur mineurs dans l’antichambre du haut niveau auxquelles il a échoué à mettre un terme il y a quinze ans, le coach de 59 ans le jure : il ne cherche ni à se faire une place dans le nouvel organigramme ni à régler de vieux comptes. Ses intentions ? Mettre en adéquation les principes de son sport avec sa pratique, aujourd’hui et maintenant. Et en finir avec les méthodes d’entraînement d’une minorité influente de l’élite française, où, sans résultat probant, «la dureté» – euphémisme de «la violence» – serait selon lui trop souvent érigée en unique recette de la «performance». «Cette croyance de quelques-uns dans le faut-que-ça-saigne est un fantasme, insiste-t-il. Les Teddy [Riner], les Clarisse [Agbegnenou]… Aucun n’a réussi grâce à ça. Le marche-ou-crève à échelle industrielle fait illusion quand on a un gros vivier, comme en France. Mais combien de gamins ont eu leur projet de vie brisé par ces traitements de choc ?»
#MeToo à retardement dans le sport
Roux laisse parler son CV. Septième dan, médaillé mondial et champion d’Europe des légers dans les années 80 avant de se forger une réputation de technicien élégant et d’éducateur cérébral. Son monde, dit-il, s’est écroulé au début du millénaire. Chargé du pôle formation de la fédération, il alerte dès 2004 sur la brutalité vécue par de jeunes athlètes dans plusieurs structures de sport études du Sud de la France. Au siège, on lui fait comprendre de regarder ailleurs. Coup de massue. «Je pensais qu’on partageait des valeurs, celles qu’on rabâche pour vendre des licences, et je suis devenu une brebis galeuse.» En conflit permanent avec le président de la fédération Jean-Luc Rougé, Roux est mis sur la touche, puis va voir ailleurs à partir de 2007. D’abord au Royaume-Uni, dont il prépare les judokas en vue des Jeux de Londres, puis au sein de l’équipe féminine de Russie, pendant deux olympiades.
La pandémie coïncide avec la fin de son contrat russe. A son retour à Paris, confiné, il découvre le témoignage de la patineuse Sarah Abitbol, dont le livre Un si long silence, paru en janvier 2020 et consacré aux violences sexuelles subies durant sa carrière, a lancé un #MeToo à retardement dans le sport hexagonal. L’omerta qu’elle décrit le ramène aux murs fédéraux auxquels lui-même s’est heurté : «C’est comme si j’avais eu un blanc pendant quinze ans et que tout me revenait. J’appelle une ancienne collègue qui avait eu les mêmes soucis, et on reparle de ces affaires. Puis elle me dit : “Il n’y a pas que ça, si tu savais…”» Depuis, il recoupe, compile, signale. Au ministère des Sports, à des députés intéressés par la question des violences dans le sport. «Beaucoup de choses sont en train de remonter», assure-t-il.
«On doit sortir de l’obscurantisme»
Cet automne, bien que revenu dans le giron de l’Insep dans l’optique d’un «transfert d’expérience», il a déposé les statuts d’une association, baptisée Artemis Sport, comme «la déesse grecque, dont l’un des pouvoirs est de guérir», pour forcer les instances sportives à prendre le problème des violences à bras-le-corps et aiguiller les lanceurs d’alerte. «Quand je me suis retrouvé confronté à cette situation, je n’étais pas formé. L’article 40 [du code de procédure pénale, qui oblige tout fonctionnaire de dénoncer tout crime ou délit à un procureur, ndlr], je n’en avais jamais entendu parler !» A ses yeux, les choses ne vont pas assez vite et la commission de lutte contre les violences constituée par la nouvelle direction tergiverse trop. A moins qu’elle ne soit prisonnière de vieilles amitiés et de calculs internes ?
Dans le milieu, Roux est adulé par les enseignants des petits clubs («leur idole», dit une cadre) mais vu comme un «emmerdeur», un «ninja blanc» par les responsables de la haute performance, façon de dire qu’il est un puriste à l’orientalisme rigide. «Justement, rappelle Roux, les Japonais, eux, ont fait le ménage. Et on a vu les résultats aux JO !» Il fait le lien avec le déclin, Riner excepté, de l’équipe de France masculine depuis une décennie. Mais refuse de tomber dans le tous pourris : «La plupart des collègues font de l’excellent travail. Mais au niveau institutionnel, on doit trancher cette ambiguïté vis-à-vis de la violence, sortir de l’obscurantisme. Sans quoi, on aura toujours de nouveaux abus.»
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