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Règlements de comptes sur tatami ?

Un article publié dans Libération en décembre 2004, écrit par Dino Di Meo (source)




Mardi 7 décembre, une journée comme une autre au dojo de l'Insep (Institut national des sports et de l'éducation physique). Soudain, en pleine séance d'entraînement de l'équipe de France féminine, les judokas se figent, glacées par les cris d'une junior de 17 ans disputant un randori (travail au sol) avec Yves Delvingt, entraîneur national. Les pratiquantes de haut niveau savent bien que le judo est un sport dur, surtout à l'entraînement. Cependant, cet exercice-là semble un peu trop musclé. «Je me suis arrêtée de travailler. Je ne pouvais plus continuer...», rappelle une des filles présentes. «J'en avais les larmes aux yeux», ajoute une autre athlète. Pour une troisième : «Elle pleurait, elle criait. C'était vraiment lourd !»

La séance au sol dure près d'une demi-heure, peut-être plus. La jeune championne tente de résister. Mais comment, lorsqu'on est une jeune fille qui pèse 57 kg et qu'en face, on a à faire à un homme, judoka confirmé et patron de la section féminine, qui pèse près de 80 kg ? Dans la salle, Jane Bridge, une Anglaise ancienne championne d'Europe et du monde, aujourd'hui entraîneur de club, en préparation à l'Insep avec ses élèves, ne supporte pas la scène. Alors que tout le monde regarde de loin, Jane file vers l'entraîneur tricolore. «On a entendu la fille crier, des signes extérieurs qui prouvent que ce n'était ni un exercice éducatif, ni pédagogique. Pour moi c'était une punition et ça, ce n'est pas le judo», martèle celle qui entraînait la Grande-Bretagne aux JO d'Atlanta (1996).


Pesée. Jane s'approche, disant : «ça suffit, maintenant.» Yves lui répond : «Toi, tu t'occupes de ton club, moi de l'Insep.» «Mais c'est une fille», lui rétorque la jeune femme qui précise : «Il a continué pendant une demi-heure.» Personne d'autre n'osera s'interposer. «Quand on vous prend dans un coin comme ça, on sait ce que cela veut dire», tente d'expliquer Jane, qui possède une certaine expérience du haut niveau. La jeune fille aurait eu le tort de commettre une faute lors d'un tournoi junior, où elle avait essayé de tricher à la pesée en se faisant légèrement soulever les fesses.


Etait-ce une punition ? Yves Delvingt assure que non. «Elle a déjà été sanctionnée par la fédération et on lui a retiré tous les points qu'elle avait remportés lors des tournois juniors. Pour le reste, il n'y a rien de plus normal. J'ai vécu ça comme un entraînement de judo.» Avant d'admettre : «J'ai fait ce randori pour lui faire voir qu'il ne fallait pas faire trop de bêtises qui pouvaient mettre en cause la structure de l'Insep, les clubs... Mais surtout pour l'endurcir. ça a été très dur. Elle a été très courageuse.» Yves est sûr qu'il n'y a pas eu faute de sa part : «C'est une question d'appréciation. Je suis sûr qu'elle en ressort plus costaude.» Puis, à propos de Jane : «Moi, je ne dis rien sur ses cours de judo.»

Eric Buonomo, ancien entraîneur présent lors de cette séance, n'a rien vu de méchant non plus, juste un randori «pas anodin». Pour lui, il n'y a pas eu atteinte à l'intégrité physique de la gamine: «J'ai vu la scène par intermittence, dit-il. Je n'ai pas été choqué. C'était juste difficile pour elle.»


Eric assure aussi qu'il n'y avait pas punition. «Je suis allé voir Jane après au bord du tapis pour lui demander de se calmer. Elle était remontée contre une certaine forme d'injustice, avec notamment la différence de poids. Avec la confrontation homme-femme aussi. Mais je n'ai pas vu la petite taper au sol (demande d'interruption de la prise, ndlr).» Après l'épreuve, la jeune fille est restée la tête dans les mains un moment. Elle s'est ensuite levée pour aller boire de l'eau, puis a continué la séance, invitée par des filles de moins de 48 kg.

Les filles présentes à l'Insep ce jour-là parlent sous couvert d'anonymat, toujours par peur de sanctions, administratives et sportives.

Mais cet épisode pourrait bien être la goutte d'eau qui fait déborder le vase. D'où tant d'émotion dans le milieu. Un membre de l'équipe de France senior affirme que la gamine n'a plus dit un mot jusqu'au soir. Une autre raconte que la protection qu'elle portait à l'oreille avait sauté pendant le randori et que son pavillon avait triplé de volume, l'obligeant à se rendre à deux reprises chez le médecin de l'Insep pour des ponctions. D'autres parlent de coups portés ou de prises d'étranglement non autorisées. La jeune fille qui a priori n'a pas porté plainte aurait dit : «J'ai cru que j'allais mourir. S'il s'approche de moi à nouveau je m'en irai, tant pis pour le judo.»


Misogynie. Sur fond d'élections fédérales en février, cette histoire prend d'autres proportions. A la direction technique nationale (DTN), Fabien Canu évoque une pure manipulation. «Il n'y a pas d'histoire. Elle n'a jamais été maltraitée.» Tout cela est symptomatique d'une certaine ambiance qui se cristallise autour de cette affaire. Les partisans d'un judo «dur» se retrouvent opposés à ceux qui militent pour un judo différent, adapté aux athlètes, comme l'avait demandé le comité directeur au retour des Jeux d'Athènes. L'épisode montre aussi une sensibilité différente des femmes en judo où les grands noms de cette discipline ont bousculé une machine souvent décrite comme misogyne. Avec Brigitte Deydier, aujourd'hui membre de l'exécutif, Cathy Fleury, Cécile Nowak ou Marie-Claire Restoux attendent toujours d'être écoutées.

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